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La mémoire de la négritude

31déc12h5513h00La mémoire de la négritude12h55 - 13h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionInstants d’Histoire

Résumé de l'émission

La mémoire de la négritude.

Nous vivons l’ère du wokisme et de la cancel culture. En effaçant le mot « nègre » du vocabulaire nous favorisons l’oubli du commerce triangulaire, de l’esclavage et de la discrimination. Certains sont allés jusqu’à débaptiser « Dix petits nègres » le roman d’Agatha Christie publié en novembre 1939 au Royaume-Uni et en 1940 en France, à une époque où l’apartheid sévissait aux USA comme en Afrique du Sud. Le roman a été rebaptisé « Ils étaient dix » en 2020 ! Il a fallu attendre 1964 pour que l’effectivité de l’égalité des droits civiques des Afro-Américains garantis par la Constitution des États-Unis au lendemain de la guerre de Sécession ne soit plus contournée dans l’ensemble des Etats-Unis. Le titre d’Agatha Christie était à sa manière porteur d’histoire.

De la même façon,  il n’est plus question de parler de « nègre littéraire » : pirouette cacahuète,  on ne parle que de « Ghost Writer » ou de « plumes ». Certains mots deviennent des fantômes, des ectoplasmes. La négritude fait pourtant partie de l’identité culturelle des noirs et des discriminations dont ils ont été si longtemps victimes.

Faut il faire oublier qu’elle est un courant littéraire et politique, créé durant l’entre-deux-guerres, rassemblant des écrivains francophones noirs, comme Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, les sœurs Paulette et Jeanne Nardal , Jacques Rabemananjara, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop et René Depestre. Lié notamment à l’anticolonialisme, le mouvement a influencé par la suite de nombreuses personnes proches du nationalisme noir, s’étendant bien au-delà de l’espace francophone. La notion d’« écrivain fantôme » n’a plus rien à voir avec celle de « nègre littéraire ». C’est en vérité le sens des mots qui disparait.

Nous gardons le pouvoir de sourire : on dit qu’Alexandre-Dumas fils disait à propos de son père : « Dumas ? Un mulâtre qui a des nègres». Ainsi, Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Octave Feuillet, Jules Janin, Eugène Sue, Anicet-Bourgeois, Paul Bocage auraient figuré parmi les écrivains fantômes de celui que Mirecourt désignait comme « le premier homme de couleur à avoir des nègres blancs ». Les écrivains peuvent être victimes de leurs nègres littéraires : lorsque ces derniers donnent dans le plagiat, ils sont parfois obligés de révéler leurs nègres pour ne pas être accusés de pillage intellectuel.

Il y a à Champagney, dans la Région Bourgogne-Franche-Comté, une  maison « de la négritude et des droits de l’homme » parce que Champagney fut l’une des rares communautés villageoises françaises à condamner l’esclavage et à en demander l’abolition dans l’article 29 du cahier de doléances, dit “Vœu de Champagney”, pour la convocation des États Généraux de 1789. Le seul noir connu des habitants se trouvait alors sur un tableau de leur église représentant l’adoration des Mages. Il s’agissait du roi Balthazar… Faudrait-il avoir la bêtise de débaptiser ce lieu de mémoire parrainé par Léopold Sédar Senghor ?

Jean-Pierre Guéno

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