En mémoire d’Irène

28jan12h5513h00En mémoire d’Irène12h55 - 13h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionInstants d’Histoire

Résumé de l'émission

En mémoire d’Irène

Irène Savignon n’est pas « décédée ». Elle n’est pas « partie ». Elle ne nous a pas « quittés » : Irène est morte peu avant Noël. Irène est devenue mon étoile de référence. J’ai deux photos d’elle en mémoire : la première date de 1940, de sa classe de 5ème au lycée Hélène Boucher. La deuxième doit avoir 10 ans. Sur la première elle a l’air grave des jeunes élèves qui posent sur un photo de classe. Sur la seconde un grand sourire. Malgré le cyclone qui a détruit sa petite famille le 14 septembre 1942 lorsque la police française a arrêté ses parents gazés deux jours plus tard à Auschwitz, Irène a appris à aimer la vie.

Je ne pourrai jamais parler de vous au passé Irène. Vous faites partie des 60000 mineurs d’origine juive qui ont survécu à la France du Maréchal Pétain après qu’il ait envoyé à la mort 11000 enfants. Votre prénom est synonyme de paix. Un jour de 2003, votre fils Eric qui était mon collègue à Radio France nous a présentés. Vous étiez le secrétaire général de l’association des enfants cachés, de ces enfants du silence sauvés de la Shoah parce que cachés ou éloignés à titre préventif par leurs parents dans des familles, dans des institutions laïques ou religieuses.

Je dois à Eric comme je vous dois « Paroles d’étoiles » et « Les enfants du silence » , deux livres porteurs de votre mémoire et de celle des enfants qui s’étaient tus pendant 60 ans. Et depuis 20 ans j’ai eu la chance de devenir et de rester votre ami. C’est vous qui m’avez présenté Charlotte, et aussi Liliane alias « Luciole », et encore Robert ou Claudine.

Au début des années 50, vous avez eu besoin d’un passeport pour exercer votre métier. Vous vous êtes rendue au commissariat de Montreuil où l’on vous a indiqué que vos parents étaient « interdits de séjour ». Le fichier du recensement des juifs ordonné par Pétain y était toujours actif en Île-de-France.

Vous avez toujours été « Madame 100 000 volts » Irène. Dotée de ce même esprit volontaire de cette même détermination, de cette même empathie pour l’humanité qui a permis à un autre de mes amis, Boris Cyrulnik, de survivre. Vous êtes devenue orpheline à 16 ans. Sur la photo de votre classe de 5ème vous avez les yeux effilés de votre père et ce regard clair, ce regard direct que vous n’avez jamais perdu. Vous êtes le symbole de l’échec de ceux qui furent les bourreaux de vos parents lorsqu’ils pensaient instiller dans les veines de leurs victimes directes ou indirectes un poison à diffusion lente : celui de la haine. Vous symbolisez par votre aptitude à construire, à bâtir, à dispenser de l’amour, la force de l’humanisme envers et contre les héritiers spirituels des bourreaux de la shoah qui prêchent aujourd’hui la chasse aux musulmans ou aux migrants. Votre cœur ne s’est jamais fermé, tout comme votre porte qui n’était jamais fermée à clef en votre absence. Je n’effacerai jamais votre numéro de téléphone portable de mon smartphone. Il me laisse la trace d’une étoile filante qui m’est chère et mon seul espoir, c’est que nos mémoires vous dorlotent jusqu’à notre dernier souffle, sous le regard vigilant des autres étoiles.

 

Jean-Pierre Guéno

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