Entretien avec Alexandre Grandazzi

18juin16h1517h00Entretien avec Alexandre GrandazziArchéologue et spécialiste de l'Antiquité romaine. 16h15 - 17h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionParcours sentimental

Résumé de l'émission

Alexandre  Grandazzi a 65 ans. Primé au concours général, khâgneux au lycée Louis  le Grand, il est un ancien élève de l’école normale supérieure de la rue  d’Ulm, agrégé de Lettres, ancien membre de l’école française de Rome,  ancien pensionnaire reçu premier de la Fondation Thiers, lauréat du prix  Bordin décerné par l’Institut et professeur des universités. Il est  archéologue spécialiste des langues anciennes et spécialiste de  l’antiquité romaine. A ses yeux, les différentes approches – littéraire,  historique, archéologique, et aussi anthropologique – doivent être  menées complémentairement si on veut avoir une petite chance de saisir  toute la richesse et la complexité des textes antiques. C’est la raison  pour laquelle il est simultanément professeur, philologue étudiant les  textes anciens, historien  et archéologue plus encore des textes et du  papier que du terrain. Il a consacré sa thèse soutenue sous la direction  de Pierre Grimmal à « Albe la longue », ancienne ville du Latium en Italie centrale, à 19 km au sud-est de Rome, dans les monts Albains, cette cité d’où seraient venus les jumeaux fondateurs de Rome. Il a succédé succédé au légendaire Pierre  Grimmal qui a dirigé pendant 30 ans le mythique département d’études  latines de la Sorbonne. Il a pris, il y a 4 ans, la direction du  département des études latines de la Faculté des Lettres de la Sorbonne  (dite maintenant “Sorbonne Université”), ainsi que celle d’une équipe  (on dit maintenant “unité”) de recherches, nommée EDITTA (pour Edition,  Interprétation, Traduction de Textes Anciens). Il semble avoir toujours  suivi sa grande leçon : il n’a jamais confondu le raisonnement et le  mythe et sans voiler la poésie du mythe et de l’imagination il a  toujours choisie la voie du raisonnement. Après la découverte du pomoerium,  le «sillon sacré» tracé par Romulus et qui permettra d’élever, un peu  plus tard, un premier mur d’enceinte autour de la colline, il a déclaré que «Romulus  n’avait probablement jamais existé mais, avec la découverte du sillon,  nous ne pouvions que conclure à l’historicité d’un moment “romuléen”».
Il  faut rajouter à tout cela qu’il est membre de la Commission générale  d’enrichissement de la langue française ce qui prouve qu’il n’est pas  seulement doué pour redonner vie aux langues anciennes.
Il  déclare avoir toujours eu « le sentiment esthétique du passé ».  L’admiration est son moteur. Son goût pour le latin et sa merveilleuse  littérature l’a finalement aiguillé vers l’Antiquité, après qu’il ait  été très tenté par la période moderne (XVII-XIXèmes siècles).  
Il a vécu trois ans à Rome en tant que membre de l’école française de Rome  qui est un institut français de recherche en histoire,  en archéologie et en sciences humaines et sociales, placée sous la  tutelle de l’Académie des inscriptions et belles-lettres une école  française à l’étranger qui dépend du ministère de l’Enseignement  supérieur et de la Recherche. 
Ne  voulant pas travailler de façon stérile, il a toujours voulu faire du  neuf et cette volonté a fait de lui un historiographe, c’est-à-dire un  étudiant, un analyste permanent de l’érudition du passé et des  trouvailles de ses prédécesseurs qui lui permet de les remettre en  question. 
Pour  cela vous il a fait feu de tout bois : le décloisonnement scientifique  est pour lui une absolue nécessité : il combine les disciplines :  littérature, histoire, géographie, géologie, linguistique, anthropologie  histoire des religions, mythographie… 
Son dernier ouvrage Urbs Histoire de la ville de Rome des origines à la mort d’Auguste  publié en 2017 chez Perrin et qui a reçu le prix Chateaubriand est une  biographie dont Rome est le personnage principal, un « personnage  collectif ». Le roman vrai d’une ville-monde. Il s’agit à mes yeux et  jusqu’à nouvel ordre du chef d’œuvre de sa vie. Là où l’on s’étend  habituellement sur la légende de la naissance et du rayonnement de  l’empire de Rome, il analyse la gestation et le développement urbain  d’une cité. Il déroule l’histoire  romaine intra-muros en constatant qu’à Rome, chaque événement extérieur a  une répercussion monumentale à l’intérieur de l’espace urbain. Toute  l’histoire de Rome se retrouve à l’intérieur de ses 700 hectares  d’espace urbain. On est dans l’histoire de l’urbanisme. Son  travail est monumental et minutieux, tout en fines couches successives,  un travail d’archéologue et de biographe au pinceau souffleur. Il a  choisi le mode de la narration au présent dans un style clair et jamais  jargonneux.  Il fait de Rome une personne. Il ne résume jamais  les siècles de la gestation et des étapes de la métamorphose d’une  ville, au mythe de sa naissance et d’un coup fondateur.
Son livre rappelle que le  surplomb du Capitole, au-dessus de l’ile Tibérine et du gué permettant  de franchir le Tibre avant qu’il n’existe un pont, commença même à être  occupé à partir du XVIIe siècle avant notre ère. Son livre rappelle que  la ville a vu le jour sur la route du sel. Son livre rappelle que les Romains ont considéré la soudaine métamorphose de l’hypercentre de Rome au 8ème siècle avant JC comme la fondation même de Rome. Son livre rappelle que depuis l’agrégat de villages constitué par les premières huttes bâties au VIIIe siècle avant notre ère, siècle  après siècle, victoire après victoire, les Romains ont inscrit le  déroulement de leurs conquêtes dans l’espace de leur cité, devenue ainsi  comme le mémorial de pierre où ils pouvaient lire leur histoire et  célébrer une identité collective à la fois conquérante et assimilatrice.  C’est ce message qu’il s’attache à déchiffrer avec toutes les  ressources offertes aujourd’hui par la science. ” une histoire où les  événements se traduisent en monuments, et où les monuments sont autant  d’événements”.
Ce  qui est agréable avec Alexandre Grandazzi, c’est qu’il n’hésite pas à  avouer qu’il a pu lui arriver de se tromper : il avait ainsi écrit, il y  a 25 ans, que le sac et l’incendie de Rome par le peuple gaulois en 390  avant JC était un mythe alors qu’il correspondait à la réalité.  
La  lecture de son livre m’a procuré la sensation qui avait été la mienne  lorsque j’ai travaillé sur les plus beaux manuscrits de Victor Hugo. Le  sensation de côtoyer un homme fleuve capable d’abattre un travail  considérable. Une sorte de vertige devant le fruit de 10 ans de travail  acharné. Alexandre Grandazzi  a atteint son objectif : il a su rendre le  mot « urbanisme » à l’Urbs et son livre est une incitation à réfléchir  sur l’avenir des villes monde qui nous hébergent en ce début de 3ème millénaire…

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