La complainte de l’électeur

19juin12h5513h00La complainte de l’électeur12h55 - 13h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionLe souffle du Diable et le soupir de Dieu

Résumé de l'émission

Certains parmi nous parlent d’un temps où nous votions en fonction de nos valeurs et de ces points de repère qui nous situaient et nous orientaient dans l’espace, et dans le temps, qui nous parlaient d’histoire et de géographie. Nous ne détestions pas les directions. Nous ne détestions ni la gauche, ni la droite, ni le centre. Parce que nous savions d’où nous venions, nous savions où nous allions. Nous aimions l’aiguille des boussoles, la flèche des girouettes coiffées d’un coq lorsqu’elle montraient les points cardinaux et que la silhouette de l’orgueilleux volatile annonçait symboliquement le passage des ténèbres à la lumière; nous épions les manches à air des petits aérodromes lorsqu’elles montraient le sens des vents ou leur absence. Nous repérions les drapeaux rouges et les drapeaux verts sur les plages surveillées. Nous recherchions les petites éoliennes. Nous guettions le reflet des catadioptres, la lumière des phares et des balises. Nous savions déchiffrer les cartes routières, les cartes IGN, les panneaux indicateurs, les étiquettes, les signes du code de la route. Nous reconnaissions les clochers, les mairies, les bureaux de poste, les petites gares. Nous apprenions les dates, les chronologies. Nous récitions le grec et le latin parce qu’ils effeuillaient l’étymologie, l’ADN des mots. Nous célébrions les fêtes religieuses et les fêtes républicaines. Nous égrenions les saisons, les jours de la semaine et les mois du calendrier. Nous observions les phases de la lune, la rotation du soleil et les étoiles qui nous aidaient à naviguer. Nous savions distinguer la lumière des ténèbres, le bien du mal, la valse des couleurs. Et puis quelqu’un est venu qui a soufflé nos phares et nos bougies, qui a semé la grande confusion, qui a beaucoup divisé, beaucoup brisé, beaucoup escamoté, prétendant qu’il n’y avait plus de gauche, plus de droite, plus d’avant et plus d’après. Nos points de repère se sont estompés avant de s’évanouir. Tout semble s’être figé. Tous semble avoir sombré dans la grisaille, dans le vide et dans le clair-obscur. Celui qui a tant détruit n’a pas beaucoup construit. Il n’a jamais eu de grand souffle. Il n’y a jamais eu tant de vide et tant de vent. Et puis nous assistons à la résurgence de ces vents mauvais de triste mémoire qui font souffler la haine et qui la font surfer sur les vagues du désespoir. Les élections n’auront jamais aligné autant de faux candidats et d’apprentis sorciers. Alors nous risquons de voter ou de ne pas voter par dépit, par rejet, par défiance. Nous aurons le vote triste. L’urne ne sera pas tant nourrie par le papier recyclable de nos bulletins de vote que par les cendres de nos déceptions. Mais nous ne céderons pas comme trop d’autres à la tentation de l’abstention ou à celle du chaos. Dans le pire des cas, nous voterons tristement pour quelqu’un que nous n’aimons pas afin d’éviter la victoire de quelqu’un qui nous répugne. Nous voterons pour que nos enfants ne puissent pas nous reprocher un jour de les avoir livrés à ces loups qui ont toujours su dans l’histoire déguiser en « führers », en « petits pères des peuples », en « grands timoniers », en « guides suprêmes », en « caudillos » en « commandantes » et en « duces » les cavaliers de l’Apocalypse, les chevaliers de la barbarie.

Réécouter l'émission