La complainte du fossoyeur

27mar12h5513h00La complainte du fossoyeur12h55 - 13h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionLe souffle du Diable et le soupir de Dieu

Résumé de l'émission

Je suis le fossoyeur. Celui qui « introduit les défunts dans les tombes ». Je suis le cousin et l’employé, la petite main du croque mort, de l’employé des pompes funèbres, de ceux qui procèdent à la mise en bière des défunts, à leurs funérailles ou à leur transport au cimetière. Qui se souvient des temps jadis quand on charriait les morts pestiférés avec un crochet ou quand on mordait l’orteil de défunts présumés pour vérifier leur mort ? Qui se souvient du terme «pompa» qui faisait référence aux grands cortèges populaires qui suivaient le corps des défunts vers leur dernière demeure, et qui mêlaient démonstrations de puissance et de richesse, comme ceux précédant l’ouverture des jeux du cirque. Je suis le fossoyeur. L’opérateur des sépultures de pleine terre ou en caveau, celui qui met en place les croix, les stèles et les pierres tombales. Celui qui creuse ou qui comble une fosse. Maudit pour les uns, intouchable pour les autres. Mais incontournable dans tous les cas. Je suis le jardinier des cimetières. Je suis le chevalier du pic, de la pelle, de la pioche, de la brosse et de la truelle, de l’inhumation et de l’exhumation. Je crée les tombes, je les ouvre, je les referme et je les scelle. Il m’arrive aussi de « réduire » les corps après exhumation, de rassembler les ossements dans une boite pour faire de la place dans les concessions à perpétuité ou pour supprimer les concessions temporaires lorsqu’elles arrivent à échéance. Mes semblables finissent alors dans un ossuaire, dans une grande cuve bétonnée où leurs restes sont disposés dans des boîtes identifiées. Ma tâche peut se révéler dangereuse. Les tombes les plus anciennes n’ont pas été dotées d’un filtre et dégagent des vapeurs extrêmement nocives qui peuvent se révéler mortelles. Pour détecter ces gaz, les gens de ma profession utilisent la flamme d’une bougie ; si la flamme reste jaune, la tombe peut être ouverte: si elle devient bleue, c’est signe de danger. Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés, les fossoyeurs les plus mal enterrés. Je n’ai pas les moyens d’acquérir une assurance obsèques, encore moins une temporelle ou perpétuelle. Je finirai moi aussi un jour ou l’autre dans une fosse commune. Je ne sais pas qui creusera ma tombe. Je déteste les employés des crématoriums. Ils sont mes concurrents directs ; ils sont les ennemis des feux follets, de ces flammes froides éphémères qui hantent les cimetières humides et rendent l’air visqueux et qui sont le fruit gazeux de la décomposition des corps. Ils ne sont que les artisans de l’instant, les apôtres des cases du colombarium ; ils ne sont que des producteurs de cendres, des remplisseurs d’urnes, alors que je travaille la terre à longueur d’années pour que nos corps, nos écorces humaines, prennent et trouvent le temps de retomber en poussière.

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