La mémoire de la civilité
Résumé de l'émission
Le mot civilité a au moins deux sens dans notre belle langue française : il désigne d’une part l’observation des règles du savoir-vivre et de la politesse, le respect des convenances et de la courtoisie élémentaire qui régissent la vie en société. Il évoque d’autre part les « titres de civilité » que sont « Monsieur », « Madame », « Mademoiselle », au singulier comme au pluriel.
La Direction générale des finances publiques vient de demander à ses « agents » de ne plus afficher la civilité des contribuables dans ses « communications sortantes ». Une manière pour la « DGFIP » de favoriser « l’inclusion », de mieux appréhender les « évolutions des identités de genre ». Ce sont donc à présent des gens de chiffres et non des gens de lettres qui nous « dégenrent » lorsqu’ils affichent au grand jour le dérangent de leurs cerveaux et l’intensité de leur servilité devant les modes du moment.
Comment s’adresser à l’auteur-technocrate de cette note administrative absurde autrement que par son titre sans sombrer dans l’incivilité ? N’ayant plus le droit de dire « Monsieur le Directeur général des Finances publiques », je pourrais suivre ses consignes et ouvrir ma lettre par « Bonjour » sans m’adresser à personne. Signifier à ce Capitaine Nemo, à ce skipper du néant à quel point sa bêtise est abyssale.
Bonjour ? Mais bonjour qui ? C’est tout le problème.
Ce prince de Bercy va nous faire regretter le temps des demoiselles et des damoiseaux, celui des demoiselles de Rochefort, celui qui faisait dire à la chanson
Qui nous dira où sont parties
Les demoiselles du temps passé?
Par quelles brèches de nos vies
Les avons-nous laissé glisser?
Qui nous dira où sont parties
Les demoiselles du temps passé ?
Le temps des jeunes filles célébrées pour leur jeunesse, le temps des femmes célibataires qui n’avaient pas honte de leur indépendance, le temps des prostituées que seul ce titre de civilité respectait alors qu’elles ne cessaient par ailleurs d’être injuriées et méprisées.
Le ci-devant Directeur général des Finances publiques n’a fait en réalité que s’aligner sur la posture absurde de « Postes Canada » dont les recommandations sont les suivantes : « Pour inclure tous les genres, dans les lettres comme dans les courriels, il est conseillé d’employer « Bonjour » suivi d’une virgule plutôt que les formules traditionnelles. On écrira « Bonjour, nous sommes heureux de vous annoncer que… ». On évitera « Madame, Monsieur, nous sommes heureux de vous annoncer que… ».
L’écriture inclusive est le bras armé de la Cancel Culture. S’il a toujours été facile de désigner son maître ou sa maîtresse d’école, il est plus délicat d’écrire à son avocate en écrivant « chère Maîtresse ». On s’en tire avec « Chère Maître ». Il est par ailleurs très difficile de dégenrer le mot « pute » comme le mot « putain », puisque l’homme, dans on infini machisme vis-à-vis de « celles qui couchent », que ce soit par envie ou pour des raisons commerciales, ne lui a jamais défini d’équivalent.
Il est paradoxal de constater que c’est un « haut fonctionnaire », par ailleurs maître des cordons de la bourse fiscale, qui nous fait basculer dans le chaos de l’incivilité, encourageant par-là les contribuables que nous sommes à la rébellion qui n’ira tout de même pas jusqu’à refuser le paiement de l’impôt, magnifique outil de redistribution au cœur d’une démocratie. Mais s’il devait être institué une taxe sur la valeur dépréciative de la bêtise, ce prince de Bercy serait à juste titre mis à l’amende.
Ironie de l’histoire : les mots « bite » et « couille » sont féminins. Le mot « vagin » est masculin. Il est vrai que « testicule » et « pénis » sont masculins et que mot « chatte » est féminin. Argotique ou châtiée, la langue française entend bien rester libre et ne pas être gouvernée par les décrets des technocrates qui règnent sur l’Absurdistan ou par les « talibaneries » des radicalisés.
Jean-Pierre Guéno