La mémoire de la République
Résumé de l'émission
La République cheminait sur les sentiers de la vie en compagnie d’un prêtre, d’un pasteur, d’un imam, d’un brahmane, d’un bonze et d’un rabbin : elle restait une jeune femme à la poitrine généreuse portant la laïcité et la liberté des cultes en bandoulière. Mais ses compagnons de route avaient de nombreuses questions à lui poser. N’avait-elle pas tendance à devenir une forme de religion laïque, qui avait connu elle aussi par le passé ses excès, ses inquisitions, ses terreurs et ses massacres ? Ne servait-elle pas trop souvent d’alibi dans le grand bal des Egos de ceux qui sous son bonnet phrygien se comportaient parfois en monarques ? N’était-elle pas aujourd’hui trop souvent insensible à l’accroissement des inégalités comme elle avait pu l’être trop longtemps aux ravages de l’esclavage comme à ceux d’un sexisme qui lui avait fait ralentir l’accès des femmes au droit de vote ? N’était-elle pas parfois qu’une référence imprimée machinalement sur des papiers officiels ? N’oubliait-elle pas la valeur de la diversité à côté de celles de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ? Etait-elle une République du partage plus qu’une République des privilèges ? Résumait-elle l’Etat ou la démocratie ? N’était-elle pas trop généreuse dans les droits qu’elle accordait et trop pingre dans les devoirs qu’elle aurait dû exiger ? Ses ennemis historiques avaient-ils le droit de la récupérer et de revêtir ses attributs ? Avait-elle raison d’évoquer dans son hymne « le sang impur » de ses ennemis ? Ne lui arrivait-il pas d’être raciste et intolérante ? Ne lui arrivait-il pas de rejeter les migrants comme certaines religions se rejetaient les unes les autres ? Ne connaissait-elle pas des dérives ? Etait-elle toujours calée sur la notion de « bien commun », sur le principe de l’équilibre des pouvoirs et sur sa vision du droit comme clé de voûte de la société ? N’avait-t-elle pas conservé le concept du pouvoir absolu en se contentant de le transférer des mains des tyrans dans celles du peuple ? Ne reposait-elle pas trop sur la tentation de la destruction totale de ce qui lui était opposé ? Ne lui arrivait-il pas d’être trop orgueilleuse ? Ne négligeait-elle pas trop les valeurs de solidarité et ne privilégiait-elle pas celle de l’égoïsme ? N’était-elle pas trop laxiste à l’égard de ceux qui s’abstenaient et ne remplissaient plus leurs devoirs d’électeurs ? N’y avait-il pas une République des riches et une République des pauvres ? La République n’était-elle pas trop souvent aveugle, sourde et insensible à la souffrance du peuple ? N’avait-elle pas tendance à se momifier en oubliant comme le chasseur de papillons d’Antoine de Saint-Exupéry de courir après un idéal réaliste ? Avait-elle le droit d’accepter la loi de la jungle ? Pouvait-elle se passer de l’éthique au nom des droits qu’elle « aménageait » et de la justice qu’elle rendait parfois dangereusement compatible avec les turpitudes humaines ? Etait-elle compatible avec l’ultralibéralisme qui privilégiait et justifiait l’écrasement des faibles par les forts ? Les bergers de toutes les religions savaient que le jeune femme au bonnet phrygien aurait du mal à répondre clairement à toutes ces questions. Et que la République était comme toutes les constructions humaines, comme toutes les religions du monde. Elle tirait sa grandeur de ses imperfections et de ses contradictions. Elle ne serait jamais parfaite, toujours écartelée entre la force de l’humanisme et celle de la barbarie.
Jean-Pierre Guéno.