La mémoire du botox (suite et fin)

09sep12h5513h00La mémoire du botox (suite et fin)12h55 - 13h00(GMT+02:00) AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionInstants d’Histoire

Résumé de l'émission

On était entré dans l’ère transhumaniste. On vénérait les nouveaux dieux par injection qu’étaient devenus Botox et Hyaluron. Le premier détendait les muscles, le second comblait les rides quand il ne lubrifiait pas les articulations rouillées par la vieillesse. Et sur l’autel de la seringue, les cliniques proliféraient comme autant de chapelles, de nouveaux eldorados. Elles blanchissaient dans le blancheur étincelante de leurs locaux l’argent d’une nouvelle drogue qui synthétisait le fruit des vanités humaines, l’incapacité à vieillir, le refus des ravages du temps. Cette nouvelle religion surfait sur les dernières innovations de la science : manipulations génétiques, nanotechnologies, intelligence artificielle. Certains songeaient même à figer la mort par cryogénisation ou encore à la combler en saturant son emploi du temps afin de rassasier le dieu des statistiques. Il fallait que beaucoup meurent pour qu’un petit nombre survive. Les nouveaux élus qui s’élisaient eux-mêmes ou qui étaient élus par défaut. Les survivants. Les migrants du trans-âge. Le « trans-genrisme » était déjà dépassé. Le « xénogenrisme » déferlait : on ne se revendiquait ni homme ni femme mais plante, animal, couleur, matière minérale ou végétale. On pouvait aller plus loin que changer de sexe. On pouvait changer d’espèce. Remettre en question son identité native. Se revendiquer de l’arbre ou du fauve. On pouvait changer sa date de naissance. Les réseaux sociaux pourraient distinguer de nouvelles tribus. Il faudrait conquérir la vue de l’aigle, la force du lion, la longévité de la tortue. On méprisait le monde d’avant : construire sa maison, cultiver son jardin, s’élever intellectuellement, passer du temps avec les gens que l’on aime, lutter pour la liberté de penser et d’expression de son pays, combattre les crimes contre l’humanité, tout cela semblait bien désuet pour ne pas dire archaïque . « Struggle-for-life » pour reprendre l’expression d’Octave Mirbeau en 1925 : « C’est ce que, dans le monde bourgeois, si fier de ses conquêtes morales, on appelle un sage. Aucun ne sait, comme lui, couvrir de grâces légères, de bavardages sentimentaux et fleuris, l’âpre et sombre struggle-for-life embusqué au cœur de tout bon modéré ; aucun ne dissimule mieux, sous les plus engageants sourires, les crocs qui s’aiguisent dans une mâchoire impatiente de fouiller la viande humaine. » On était revenu dans l’ère cannibale. Le monde n’était qu’un archipel, un réseau d’îles sans Robinsons mais peuplées de Vendredi restés anthropophages. L’ère du « soleil vert » imaginée par Richard Fleisher dans un film de 1973 en s’inspirant du roman de l’écrivain Harry Harrisson «Make Room! Make Room!” publié en 1966 avait bel et bien pris corps. Les banques d’organes se multipliaient tout comme les mouroirs. On élevait des humains en batterie pour qu’ils servent de réservoirs, de banques de protéines au royaume de la culture souche et du Big Data. On les achevait avant qu’ils ne soient plus recyclables.

Jean-Pierre Guéno

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