La mémoire du cléricalisme

15oct12h5513h00La mémoire du cléricalisme12h55 - 13h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionInstants d’Histoire

Résumé de l'émission

Omertà : la loi du silence. Le mot Omertà vient d’une contraction d’omo, qui veut dire «homme», et d’umirtà, variante de umiltà, qui veut dire « humilité ». L’omertà relève donc des « hommes humbles », notion à rapprocher de la società onorata, « société des hommes d’honneur ». C’est le nom que s’est donnée la mafia ! Le personnage du mafioso c’est le « camorista » ou l’homme d’honneur, c’est-à-dire celui qui adhère à une société s’opposant ouvertement aux institutions gouvernementales et exhibant, ainsi, courage et supériorité.

Il n’était pas mafieux, François de Foucauld. Il avait un beau nom de prêtre qui rappelait celui du saint Charles de Foucauld. Il avait 50 ans. Il avait publié une tribune dans le journal La Croix en décembre 2021. Il y dénonçait les abus de pouvoir au sein de son église, déclarait en avoir été victime,  et déplorait une « contrainte au silence » au sein de sa propre institution. Il appelait en vain à écouter «le témoignage des victimes d’abus de pouvoir dans l’Église». Il vient de mettre fin à ses jours. Mon livre « Paroles de prêtres » évoquait ce problème qui accable trop de ces fantassins de l’église que sont les prêtres de terrain dans leurs taches quotidiennes. Ils sont victimes d’une sorte d’omerta qui ne date pas d’hier et qui était déjà dénoncée dans le journal de l’abbé Mugnier entre 1880 et 1939.

Ce silence imposé vient s’ajouter au silence subi, infligé aux prêtres de terrain par l’océan de solitude qui fait trop souvent d’eux des Robinson Crusoé sans Vendredi, des naufragés de l’altérité crucifiés chaque jour par les vagues conjuguées de l’indifférence de trop de leurs ouailles et de trop de leurs hiérarques.

On s’interroge sur l’étymologie du mot maffia, qui dériverait peut-être de l’adjectif sicilien mafiusu («vantard », par extension « audacieux »). Je lui préfère un autre origine : le mot toscan « maffia » qui signifie misère. Toutes les mafias exploitent la misère humaine et bâtissent leur puissance et leur richesse sur le dos des pauvres et des déshérités.

C’est là aussi sans doute une forme de misère lorsque l’Eglise qui est la mienne finit par imposer la loi du silence et se comporte comme une mafia. Tous semble avoir commencé au 4ème siècle sur les rives de la Méditerranée orientale lorsque le corps unique de l’Eglise s’est divisé en ordres, en « familles »  (Franciscains, Dominicains, Assomptionnistes, Jésuites…) qui sont inévitablement entrés dans une sorte de concurrence jusqu’au point de finir parfois par relever de la logique infernale des bandes organisées et des communautés rivales. Le prêtre de terrain n’obéit à aucun ordre. Sa seule communauté est celle des êtres humains, sans distinction aucune.

« Dans ce combat contre un cléricalisme qui a tant fait de mal à l’Eglise dans sa mission d’annonce de l’Evangile, peut-être avons-nous trop sous-estimé que ses premières victimes pouvaient être les prêtres eux-mêmes. » écrivait  tout récemment René Poujol ancien patron du magazine catholique Pèlerin pour célébrer la mémoire de son ami François de Foucauld.

Tout le monde semble avoir oublié qu’en novembre 2018, un collectif d’anciens membres provenant de différentes communautés dites « nouvelles »  de l’Eglise telles que l’Opus Dei, ont écrit une lettre ouverte au Pape François pour accuser les communautés qui les avaient hébergés de dérives sectaires, et pour affirmer qu’il était grand temps de libérer une parole emprisonnée depuis trop longues années sous le joug de l’omerta spécifique à chacun de ces mouvements et communautés qui sont en fait des églises parallèles à l’Église Catholique, mais qui ont la même « maladie du cléricalisme » comme style de fonctionnement .

Jean-Pierre Guéno