La mémoire du redoublement
Résumé de l'émission
La mémoire du redoublement
En France, un élève sur quatre a redoublé au moins une fois avant l’âge de 15 ans, soit le double de la moyenne des pays de l’OCDE. Certains rappellent que le redoublement coûte cher – environ 2 milliards d’euros par an -, que son efficacité pédagogique est discutable, qu’il produit des effets destructeurs sur la construction de la personnalité de l’enfant et ne sert à rien d’autre qu’à prouver à l’élève qu’il n’est bon à rien. Mais en fait, comment un redoublant est-il considéré dans une classe ? Comme un handicap qui plombe ceux qui le rejoignent ou comme un atout puisqu’il a déjà acquis une partie de ce qu’ils vont acquérir à leur tour. Pourquoi ne pas le transformer en tuteur des plus jeunes ? « Doubler », c’est la forme vieillie, désuète du mot « redoubler » qui semble lui-même avoir du plomb dans l’aile si l’on en juge la tendance de notre système éducatif à remettre en cause la notion de sélection et à ne plus faire redoubler les élèves afin de mieux démontrer sa performance en dopant les notes du contrôle continu comme celles des examens ou des concours. Longtemps, lorsqu’il était admis, le fait d’accomplir une seconde année d’études dans la même classe a été considéré comme une petite humiliation susceptible de donner un coup de fouet salutaire à l’élève endormi, lorsqu’elle ne l’achevait pas.
Il valait mieux avoir un an d’avance qu’un an de retard et il arrivait que les redoublants constituent les bataillons des fonds de classe et des amateurs de radiateurs. Que dire de ceux qui « triplaient ». A l’inverse, l’élève de classe préparatoire lorsqu’il n’intégrait pas la grande école convoitée dès sa première tentative était considéré comme courageux et studieux s’il cubait, s’il redoublait sa seconde année de préparation. Le «cube» redoublant devenait un « bica » (pour bicarré) lorsqu’il triplait sa classe, et le « bica » un « penta » lorsqu’il la quadruplait. Les concours très difficiles finissaient par relever de la loterie et du hasard pour les meilleurs postulants plus nombreux que les places proposées devenaient plus accessibles aux entêtés, ne serait-ce que pour des raisons statistiques. Il faudrait s’interroger à la fois sur la notion d’échec et sur celle de redoublement. Surtout ce type de redoublement qui caractérise les êtres atteints d’un cancer ou d’un accident cardio-vasculaire lorsqu’ils arrivent à s’en tirer à bon compte. Dans ce cas-là , le droit au redoublement, le droit aux prolongations relèvent de la grâce.
Ils révèlent toute la valeur de l’avertissement sans trop de suites. Le redoublant peut alors devenir un sage en découvrant la valeur si précieuse du temps qui passe, et qui devrait le conduire à le savourer, à ne plus le gaspiller, à ne plus chercher à le tuer avant qu’il ne le tue. Il nous faut apprendre à mûrir. A moins que nous ne soyons incorrigibles, que nous oubliions, que nous ne nous transformions en récidivistes, en chauffards de la vie, raffolant du franchissement de ligne jaune et du doublage en côte, sans visibilité. Ceux parmi nous qui ne « doutent de rien » et qui sont un peu « hors sol » n’ont certainement jamais redoublé. Il est décidément temps de réhabiliter l’échec provisoire et le redoublement pour leur valeur hautement pédagogique.
Jean-Pierre Guéno
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