Le lien des titres qui ronflent

18fév12h5513h00Le lien des titres qui ronflent12h55 - 13h00(GMT+01:00) AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionLe souffle du Diable et le soupir de Dieu

Résumé de l'émission

Le lien des titres qui ronflent

Les derniers jours de l’année que nous venons d’arracher en les effeuillant sur le ventre de nos éphémérides et  les premiers jours de l’an neuf  qui en temps normal font rimer le blanc du gui avec celui du givre, aboutissent au foisonnement des bêtisiers de l’année sur les écrans plats des chaînes de télévision en mal d’inspiration. Il est intéressant de se pencher sur le gigantesque bêtisier des titres ronflants, vides et ridicules, que nous nous donnons ou que nous nous laissons parfois donner pour en « imposer », pour afficher notre position hiérarchique, professionnelle et sociale. J’ai le souvenir d’un « Vice-Président des produits dérivés » chez Warner. Cette huile, ce cadre qui avait besoin de rappeler qu’il « dirigeait »,  régnait donc sur des inanimés, sur des montagnes de licences permettant de fabriquer en Chine des figurines, des mugs, des accessoires aux couleurs de Tweety, des Looney Tunes, de Batman, de Superman, et autres Wonder Women. Ce qui est ridicule, ce n’est pas la fonction très honorable et très utile du garçon mais la dénomination de sa fonction ; l’aspect à la fois grandiloquant et dérisoire de son titre.

C’est la grande surenchère. Un seul titre vous manque et tout est dépeuplé. Tout le monde doit être président, vice-président ou DGA de quelque chose, colonel régnant sur une armée où tout le monde émarge au mess des officiers. Malheur aux simples soldats, malheur aux sous-officiers, à ces cohortes de gens humbles qui font le job et sans lesquels leurs dirigeants ne pourraient pas exhiber leurs épaulettes et leurs décorations. Vivent les entreprises de trois personnes composées d’un CEO (Chief Executive Officer) et de deux vice-présidents.

A défaut d’être augmentés les employés sont promus en titres ronflants et payés de mots.

The Economist souligne que les employés des supermarchés Walmart sont appelés “associés” et que les serveurs de Starbucks sont appelés “partenaires”, tandis que les salariés de Facebook, devenu Meta, sont désormais connus sous le nom de “Metamates”. Nous croisons des Chief happiness officer, des Managing directors, des Ambassadeurs de Lobby, des Directeurs des premières impressions. L’usage de l’anglais caractérise cette novlangue de l’absurde : le  Business developer remplace le commercial, le Social media manager le Responsable des réseaux sociaux. Tout cela doit sentir le « fun » et la modernité. N’oublions pas de citer le « chef de projet bébé », la “chargée de mission tétées, couches, bains et câlins”, le « chef de projet tri des commentaires » ou le « directeur de publication bloguesque ».   Des titres qui en imposent et qui claquent quand ils ne nous autorisent pas à faire pipi de rire dans nos culottes. Vivent les chefs qui rencontrent d’autres chefs mais qui ne prennent jamais de décision, vivent les cadres qui n’encadrent qu’eux-mêmes, ou les responsables qui règnent sur leur emails.

Un titre manque encore qui pourrait être « Dieu ». Il ferait classe sur une carte de visite professionnelle. Une directrice d’une agence de publicité, avouait récemment qu’elle adorait  pendant les dîners mondains dire qu’elle était coiffeuse et détailler les avantages comparés de la permanente et du brushing lisse. En général, personne ne lui parlait plus au bout de deux minutes.

Cette comédie humaine consternante n’est que la face émergée de l’iceberg  de la discrimination hiérarchique. De la même manière que l’aristocratie se raccrochait à ses titres de noblesse, l’entreprise se rattache aux cases de ses organigrammes qui ne sont en fait que des boules décoratives accrochées aux branches d’un sapin de Noël intemporel. Des boules reliées par des guirlandes plus hiérarchiques qu’opérationnelles et fonctionnelles. Il ne s’agit pas de dire qui fait quoi, mais d’exister ou de faire exister en affichant un tonnage hiérarchique pour un bateau dont la cale est souvent vide. Et d’atteindre le nirvana hiérarchique : rejoindre le CODIR, le COMEX, ou le COPIL de l’entreprise. Deux perles pour finir et pour la route : Grand administrateur de la transversalité annualisée ou encore Consultant en optimisation des ressources multifactorielles.

A se demander si les titres ronflants ne désignent pas les gros ronfleurs !

Jean-Pierre Guéno