Que savons-nous du christianisme des premières années et des premiers siècles après la crucifixion ? Jésus n’a laissé aucun écrit. Les institutions n’existaient pas encore, ni le Credo ou le clergé, seuls le Notre Père et un repas « en mémoire de lui » nous ont été légués.
80 auteurs de tous horizons : historiens, sociologues, théologiens, philosophes, sous la codirection de Roselyne Dupont-Roc, bibliste, responsable d’une formation à distance sur la foi chrétienne “Cetad” et Antoine Guggenheim, prêtre dans le diocèse de Paris et cofondateur du mouvement Up for Humaness, se sont penchés sur cette question.
L’émission Midi Magazine du 8 janvier 2021 est à réécouter sur ce lien.
L’émergence de la chrétienté, une interrogation majeure
Après Jésus, l’invention du christianisme (Éditions Albin Michel) : derrière ce titre un peu provocateur, il s’agit d’aborder « la façon de vivre après l’expérience de la rencontre avec le ressuscité sur une période allant des années 30 de notre ère jusqu’en l’an 250 », explique Roselyne Dupont-Roc. Paul, disciple, le dit : « Il faut toujours revenir à Jésus et au fondement de son enseignement ».
L’enjeu de cet ouvrage est bien de comprendre comment s’est opéré le passage de Jésus au christianisme, alors que Jésus lui-même n’a pas inventé de nouvelle religion. Après deux mille ans d’histoire, il est temps de s’interroger : que s’est-il passé ?
Des sources juives et des découvertes archéologiques
« Les sources sont essentiellement chrétiennes : il y a d’abord le Nouveau Testament et les nombreux volumes de textes juifs (Ancien Testament), poursuit Roselyne Dupont-Roc. Il y aussi des sources non-chrétiennes, des traces des jugements portés sur les chrétiens. Et également des éléments archéologiques avec des découvertes récentes, notamment celle de 2017 en Palestine à Kefar Othnay. On y a retrouvé une salle avec de superbes mosaïques, c’était vraisemblablement un lieu où l’on se rassemblait pour manger le repas du Seigneur . Ce travail archéologique croisé avec les textes anciens donnent des informations existentielles extrêmement précieuses : le christianisme était vécu comme une vie partagée ».
L’archéologie a permis en effet de découvrir que les maisons étaient utilisées comme des lieux de culte : « Le principe des chrétiens c’est qu’ils ne se rassemblent pas dans un sanctuaire – il n’en existe pas – mais bien dans les maisons (une assemblée compte au départ de dix à quarante personnes). Ce rassemblement dit beaucoup sur la notion de diversité originelle propre au christianisme. Ce dernier n’est pas un grand arbre qui s’est divisé au gré des querelles mais un ensemble de rameaux », ajoute le Père Antoine Guggenheim.
Le premier texte : les Lettres de Paul aux Thessaloniciens
Les Lettres de Paul aux Thessaloniciens ont été rédigées vingt ans après la mort de Jésus. “Cela suppose que Paul avait déjà rassemblé de petites communautés auxquelles il écrivait” décrypte Roselyne Dupont-Roc.
« Ensuite il y a eu des traditions orales. Ces petites assemblées chrétiennes sont un lieu de fabrique – au sens d’usine – de célébrations, de liturgies (des prières, des hymnes, des proclamations de foi). Un foisonnement d’éléments se transmettait oralement, qui vont ensuite être fixés par écrit. (Il semblerait que) le premier évangile écrit serait l’Evangile de Marc, autour de 70. Vient ensuite la Didachè, un recueil de morale et de rites dont une bonne partie vient du monde juif et qui doit dater du tournant du Ier siècle.
Émergence du christianisme : le regard des juifs
Comment les juifs voient-ils les chrétiens de l’époque ? « Dans la configuration du judaïsme de l’époque, très diversifié, les chrétiens sont vus comme une secte (au sens “nouveau choix de vie”). Il y a évidemment des tensions (par exemple entre les rois juifs et les Pharisiens.) Pendant longtemps, les chrétiens vont être considérés comme des juifs appliquant mal la loi. Ce que j’ai appris des auteurs juifs, commente Roselyne Dupont-Roc, c’est que le judaïsme d’après 70 n’était pas aussi rigide et monolithique qu’on le croit. Peu à peu, les juifs ont décidé qu’ils étaient tous d’accord pour ne pas être d’accord. En quelque sorte, ils ont établi le désaccord comme principe d’unité. Les chrétiens se sépareront ensuite lentement des communautés juives.“
Émergence du christianisme : le regard des philosophes
« Beaucoup d’éléments justes ont été répertoriés par les philosophes, explique Antoine Guggenheim. Néanmoins, leur difficulté vis-à-vis du christianisme est que, dans ce système de pensées, il y a un lien très fort avec une seule personne : Jésus de Nazareth, dont la place est prépondérante. Pourquoi les chrétiens ne se contentent-ils pas de manier des concepts et pourquoi célèbrent-ils une personne comme un Dieu ? »
« Ce que l’on reproche au christianisme, c’est d’être récent, ajoute Roselyne Dupont-Roc. À l’époque ce qui n’a pas été soumis à l’épreuve des siècles est soupçonné d’être faux. Et le monde des philosophes reproche au christianisme sa nouveauté, il n’a pas ses lettres de noblesse. Les philosophes romains ce point de vue critique, mais certains d’entre eux vont pourtant se convertir et enseigner, tel Clément d’Alexandrie.“
Clément d’Alexandrie, premier écrivain chrétien
Né à Athènes vers 150, Clément d’Alexandrie représente un phénomène tout à fait original et presque unique dans l’histoire du christianisme. Il est le premier écrivain à livrer un programme complet de formation spirituelle. Il est également le premier à concevoir le christianisme comme une méthode d’accès à la perfection individuelle. Il est enfin le premier à oser assumer, en tant que chrétien, toute la tradition poétique et philosophique grecque et, d’une manière générale, toutes les traditions religieuses et philosophiques.
La représentation du christianisme : à quoi ressemblait Jésus ?
Au départ le témoignage se fait sans soutien d’images : « Je crois que cette absence d’images vient essentiellement du judaïsme et de son refus de toute représentation, explique Roselyne Dupont-Roc. Le récit fait ensuite place à une iconographie essentiellement figurative. Par ailleurs, les chrétiens n’étaient peut-être pas tous riches, ils ne pouvaient pas s’offrir de sculptures ou de tableaux.
L’iconographie chrétienne s’appuie sur les quatre Évangiles : Matthieu, Luc, Marc et Jean. Cependant, aucun ne dresse de portrait physique du Christ, ce qui laisse place à toutes les interprétations possibles.
À partir du IIe siècle, Jésus emprunte ses traits au type hellénistique des divinités païennes occidentales : il est généralement représenté comme un jeune homme imberbe (pour le différencier des philosophes grecs, des devins et des dieux païens), aux cheveux courts et bouclés, vêtu d’une toge ou d’une tunique, reprenant le modèle de l’Orateur grec, avec le bras droit enroulé dans les plis de son manteau et la main posée sur la poitrine, et le bras gauche appuyé sur la hanche.
L’émission Midi Magazine du 8 janvier 2021 consacrée à la naissance du christianisme et animée par Nathalie Zanon est à réécouter sur ce lien.