Conformément à la pratique constitutionnelle, Élisabeth Borne a démissionné. Voulait-elle continuer l’aventure Rue de Varenne ? A l’évidence, oui. Elle le fait savoir dans sa lettre de démission reprenant la formule d’un de ses lointains prédécesseurs , Michel Rocard “ Monsieur le Président de la République, vous m’avez fait part de votre volonté de nommer un nouveau Premier ministre…”
L’ancienne préfète nommée à Matignon à la suite de Jean Castex n’était pas maîtresse de son destin. Emmanuel Macron rêvait depuis longtemps de se débarrasser de celle qui fut son plan B. Au lendemain de sa réélection, il avait porté son choix sur Catherine Vautrin, présidente de la métropole du Grand Reims, avant de rétropédaler sous la pression des ténors de sa majorité. Après vingt mois à la tête d’un gouvernement dans lequel elle était systématiquement menacée par des motions de censure des oppositions et des ministres qui voulaient à tout prix sa place, Élisabeth Borne a été finalement remerciée lundi 8 janvier en fin de matinée. Comme pour une délivrance, c’est le chef de l’État qui a fait lui-même l’annonce sur ses réseaux, saluant son “travail au service de notre nation qui a été chaque jour exemplaire”. Ainsi se ferme la page Borne. Une autre s’ouvre avec la nomination de Gabriel Attal, qui devient, à 34 ans, le plus jeune Premier ministre de la Vᵉ république. Que faut-il voir à travers cette nomination ?
Prendre le risque de nommer Gabriel Attal à Matignon, c’est la volonté pour Emmanuel Macron de retrouver du souffle après une année 2023 où le gouvernement Borne a été longuement mis à l’épreuve, notamment lors de la réforme des retraites et de la loi immigration. Élisabeth Borne est sortie totalement “démonétisée” de ces différentes séquences. L’examen de la loi immigration a laissé des marques dans la majorité. Pour réconcilier et relancer son quinquennat, il fallait au chef de l’État, un nouveau visage. Par ses succès engrangés à la tête de l’Éducation nationale, qui lui ont valu les louanges de la droite et même de l’extrême droite, Gabriel Attal cochait ces cases. Toutefois, le nouveau Premier ministre ne réussira pas à étendre cette majorité relative à l’Assemblée nationale, qui demeure pour l’exécutif le plus grand handicap de ce second quinquennat. Eric Ciotti, patron des Républicains, a annoncé une opposition “responsable” et“rigoureuse”. Les Insoumis ont laissé planer la menace d’une motion de censure en cas d’absence de vote de confiance.
Ce choix s’inscrit également dans une perspective électorale. En juin, auront lieu les élections européennes, un scrutin pour lequel la liste menée par Jordan Bardella, patron du Rassemblement National, caracole en tête des sondages. Le président de la République avait deux options. Il aurait pu croire en la réalité des sondages et attendre le lendemain des élections pour changer de Premier ministre. Il a préféré attaquer plutôt que subir. Avec Gabriel Attal, il veut un gouvernement de combat. Il souhaite installer dès maintenant le duel entre le nouveau locataire de Matignon et Bardella, deux étoiles montantes de la politique française. Gabriel Attal aura donc la lourde charge de renverser la donne à cinq mois de cette échéance.
En le nommant à Matignon, le chef de l’État reprend aussi la main sur la politique nationale. Le nouveau Premier ministre pourra bien se targuer de la célèbre formule de Laurent Fabius “Lui c’est lui, moi c’est moi”, cela n’empêchera pas de constater la mise sous tutelle de Matignon par l’Élysée. De l’Éducation nationale, le ministère dont il avait initialement la charge, le président de la république avait fait son domaine réservé. Le scénario se répète. Enfin, un message clair est envoyé aux prétendants à sa succession dans son propre camp. Un passage réussi rue de Varenne pour Gabriel Attal pourrait constituer un véritable tremplin pour l’Élysée. Faut-il donc voir, à travers ce choix, la désignation d’un héritier politique ?
Par Carlyle GBEI