Huitième roman de Jean Lods, Conte de cinéma est une histoire merveilleuse que liront avec un plaisir égal les amoureux du cinéma et ceux de la littérature. En effet, le sujet central est certes le cinéma, et le moment où la frontière entre imaginaire et réel vient à s’effacer, mais l’écriture de son auteur est si finement ciselée, si stylistiquement parfaite que l’esthète le plus exigeant ne manquera pas de s’en réjouir. Surtout de nos jours, quand la phrase simple (“sujet-verbe-complément”) s’efface même devant le langage simplifié des messageries instantanées.
Livrons-nous donc aux délices de la phrase complexe, de la construction proustienne qui permet d’entrer dans les méandres de l’esprit de son auteur, et voyons de quelle manière Jean Lods nous fait partager ses émotions de cinéphile à travers une galerie de personnages empruntés à la fois à la littérature et au cinéma. Il y a en effet Colin (et Chloé), tout droit sortis de L’écume des jours de Boris Vian, qui voisinent avec Henriette, celle de Renoir et de sa “Partie de campagne”, un film de 1946 signé Jean Renoir, célèbre fils de son illustre père, le peintre Auguste Renoir, lequel n’aurait certainement pas renié cette œuvre quelque peu impressionniste, quoique filmée en noir et blanc.
A quel moment un personnage imaginaire devient-il réel au sein d’un roman… qui par essence met en scène des personnages imaginaires ? Où est la frontière du possible et de l’impossible ? Colin lui-même finit pas ne plus trop savoir : certes il parvient à plonger au sein de la “Partie de campagne” pour rejoindre celle qui l’a tant séduit mais il n’est pour elle qu’un souffle, plus ténu qu’un fantôme. Tout l’art de l’écrivain sera de nous conter comment son Henriette prendra corps et densité avant de tout reperdre, malgré elle et malgré lui.
Une tragédie, qui se joue sur fond d’une autre tragédie, bien réelle celle-là : celle de la disparition progressive du cinéma, celui des salles obscures, des auteurs qui gagnent leur célébrité à la force de leur art, des files d’attente et de l’émotion partagée. Au siècle passé, Fellini en avait eu une sorte d’intuition, espérons que le nôtre n’aura besoin d’aucune Judith pour – a contrario de celle du roman – protéger les films d’un tyrannique Holopherne !