Jean Moulin et la vision de Conlie

17avr12h5513h00Jean Moulin et la vision de Conlie12h55 - 13h00(GMT+02:00) AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionInstants d’Histoire

Résumé de l'émission

Jean Moulin et la vision de Conlie.
Les 9 janvier et 10 janvier 2021, la ville du Mans a célébré le 150e anniversaire de la Bataille du Mans, un épisode clef de la guerre franco-prussienne, qui recouvre une tragédie bretonne. Retour sur mémoire. 1932 : Jean Moulin est sous-préfet de Châteaulin depuis deux ans. Pendant son séjour breton, il est introduit par son ami le docteur Tuset dans un milieu d’artistes : Il fait la connaissance de Max Jacob, qui lui donnera son nom de code, « Max », dans la résistance, mais aussi des peintres Lionel Floch et Giovanni Léonardi. Illustrateur et dessinateur de presse doué, auteur de carricatures contre Hitler et Mussolini publiées dans la presse sous pseudonyme, Jean Moulin apprend la gravure dans la petite salle à manger de la sous-préfecture. Séduit par l’atmosphère et la poésie bretonne, il décide d’illustrer de huit eaux-fortes l’édition bibliographique du recueil « Armor » extrait des Amours jaunes de Tristan Corbière. Toutes sont signées Romanin, toponyme provençal qui lui rappelle les lieux de son enfance. La « Pastorale de Conlie » est un poème de Corbière qui évoque un épisode tragique des relations entre la Bretagne et la République : A l’automne 1870, après la défaite de Sedan, pendant le siège de Paris, soixante mille bretons, raflés par Gambetta pour combattre les envahisseurs prussiens sont regroupés par vagues successives dans un camp de concentration à Conlie près du Mans. On les y maintient de force. On attend de pouvoir les armer avec les vieux fusils réformés rendus par les américains de la guerre de sécession… Les soldats surnomment le camp « Kerfank », la ville de boue en Breton. Le 25 novembre 1870, 25000 hommes s’entassent dans le cloaque de Conlie. Ils sont décimés par la famine, par l’ergot de la farine de blé avariée et contaminée, et par les épidémies de variole et de typhoïde. Ceux qui en réchappent sont envoyés, mal armés ou non armés à la « boucherie » de la bataille du Mans. Au spectacle du charnier dessiné par Jean Moulin pour illustrer la Pastorale de Conlie, on ne peut s’empêcher de penser à une sorte de flash prémonitoire qui annonce les images prises au moment de la libération des camps de la mort en 1945. La « vision » de Jean Moulin est comparable à celle d’André Suarès qui dès 1932 prédisait la perspective de la Shoah. « Armor » paraît en 1935 aux éditions Helleu, et les eaux-fortes sont exposées, en 1936, au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts. La preuve du caractère prémonitoire de cette eau forte ? La femme nue et décharnée qui git, jambes ouvertes, au centre du charnier… Conlie était un camp d’hommes. Cette femme venait du futur pour illustrer les deux dernières strophes du poème de Tristan Corbière
Va : toi qui n’es pas bue, ô fosse de Conlie !
De nos jeunes sangs appauvris,
Qu’en voyant regermer tes blés gras, on oublie
Nos os qui végétaient pourris,
La chair plaquée après nos blouses en guenilles
— Fumier tout seul rassemblé…
— Ne mangez pas ce pain, mères et jeunes filles !
L’ergot de mort est dans le blé.

Jean Moulin 1932

Ouverture des camps de la mort 1945

 

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