La mémoire de la dépendance

07jan12h5513h00La mémoire de la dépendance12h55 - 13h00 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionLe souffle du Diable et le soupir de Dieu

Résumé de l'émission

La mémoire de la dépendance

Notre fragilité, notre vulnérabilité ne se vérifient jamais autant que lorsque nous sommes dépendants. Notre société semble être devenue un grand corps malade dans la mesure où elle a tendance à nous évacuer en coulisse dès lors que nous ne sommes pas encore ou que nous ne sommes plus autonomes. Une enquête récente du Nouvel Observateur a révélé que le grand scandale des crèches n’avait rien à envier à celui des EHPAD. Manque de personnel, manque de moyens, rationnement des couches et manque d’hygiène : nous grabatisons, nous « légumifions » les tout petits comme les tout vieux et nous finissons par maltraiter nos bébés comme nous finissons par maltraiter nos aînés. Dans le premier cas, les enfants maintenus dans un état végétatif en subiront les conséquences tout au long de leur vie et des années de divan et de psychanalyse ne suffiront pas à effacer les séquelles inhérentes aux mauvais berceaux des collectivités qui auront compromis leur développement. Dans le second cas, l’internement des personnes âgées dépendantes ne fait qu’accélérer la vitesse et l’intensité de leur naufrage et que précipiter leur fin. Tout cela relève de la non-assistance à personne en danger et de l’homicide par indifférence. Tout cela prouve que nous favorisons la civilisation du palliatif au détriment de la civilisation de la prévention. En cela nous sommes devenus barbares. Au lieu de renforcer, d’entretenir la solidité de la coque de l’Arche qui nous héberge, nous y provoquons des brèches multiples que nous prétendons ensuite colmater. Nous traitons les conséquences de nos turpitudes au lieu d’en traiter les causes. Nous souffrons de cette ménopause, de cette andropause du cœur qui nous prive des hormones de l’empathie, de l’altruisme et de la solidarité. Il n’existe pas de Viagra, pas de flibansérine pour pallier l’absence de désir d’empathie. Nous ne cessons d’entretenir la rime pauvre de la souffrance et de l’indifférence.

Nous savons investir dans des incubateurs pour nos start-up alors même que nous sacrifions les pépinières qui devraient être dédiées à nos enfants. Nous condamnons les abattoirs pour les ovins et pour les bovins, alors même que les abattoirs pour les humains prolifèrent. Nous savons que certains EHPAD ne sont rien d’autre que des mouroirs. Nous nous demandons à présent si nos crèches du 21ème siècle seront des mouroirs sociaux plus que des temples de l’éveil.

Dans les deux cas nombre de ces lieux d’inhumanité refusent du monde et fonctionnent sur liste d’attente. Ils ont du mal à recruter du personnel mais aucun mal à recruter des pensionnaires. Tous font tristement raisonner dans nos têtes un refrain de Jacques Brel : « Au suivant ! Au suivant ! » et les deux lignes d’un couplet de la chanson : « Moi j’aurais bien aimé un peu plus de tendresse ou alors un sourire ou bien avoir le temps ».

« Tous les suivants du monde devraient se donner la main. » nous dit encore le chanteur.  Jacques Brel savait bien qu’ensemble, unis, nous les « suivants »  nous pourrions peut-être enfin arrêter de suivre aveuglément et sans voter ceux qui nous gouvernent mal, tous ces chevaliers de la rustine et du pansement sur la jambe de bois qui manquent désespérément de souffle et de véritables projets de société.

Jean-Pierre Guéno

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