La mémoire du café du commerce

03juin12h5513h01La mémoire du café du commerce12h55 - 13h01 AnimateurGueno Jean-PierreÉmissionInstants d’Histoire

Résumé de l'émission

La mémoire du café du commerce. Acte 1 : Novembre 1954 : alors que la « Générale aéronautique Marcel Dassault » vient de créer son troisième avion à réaction, le Mystère IV, le premier numéro de Jours de France atterrit dans les kiosques, tout fraichement créé par l’avionneur Marcel Dassault qui, du haut de ses 62 ans, veut concurrencer Paris Match et y rédige lui-même une chronique populiste intitulé “Le Café du Commerce” où il commente des questions d’actualité mises en scène dans un dialogue entre deux habitués qui échangent des rumeurs. Le périodique coûte 10 francs : 5 francs de moins que le timbre courant, la Marianne de Gandon. Brigitte Fossey est à la une du magazine. Elle a sept ans. Après Jeux interdits sorti en 1952, elle tourne son deuxième film : « L’amour d’une mère ». En s’imprégnant de la France après avoir entendu de « vrais gens », en rédigeant ses chroniques depuis ce Café du Commerce imaginaire ou réel, situé selon les sources dans le 8ème ou dans le 15ème arrondissement de Paris, Marcel Dassault qui assène ses « vérités » pas toujours bonnes à entendre vient sans le savoir de créer l’ancêtre des réseaux sociaux, de Twitter, de Facebook et des chaînes d’information qui sont devenus les « cafés du commerce » du 21ème siècle, les plateformes et les lieux qui nourrissent et propagent le grand vide des rumeurs et des brèves de comptoir. Acte 2 : 1987. Jean-Marie Gourio publie son premier recueil de « Brèves de comptoir », recueil de citations authentiques recueillies dans la vie de tous les jours, surtout dans les bars et dans les bistrots. Paraissant chaque année de 1987 à 2015, les « Brèves de comptoir » ont été un formidable succès de librairie. La café du commerce a donc trouvé ses supports d’avenir, les royaumes modernes du commérage et du bavardage qui se sont transformés en empires grâce au Web. Avec sa rubrique créée dans jours de France, Marcel Dassault annonçait avec plus de 40 ans d’avance les véhicules contemporains du degré zéro de l’expression politique, ce que Mediapart a baptisé le sommet de la banalité “beaufique”. Grâce au WEB, grâce aux réseaux sociaux et aux plateaux des chaînes d’information en continu, le café du commerce s’est ouvert aux prétendues élites. Là encore il faut écouter Médiapart : « Les problèmes de société (délinquance, sécurité, prisons, immigration, voile, burka…) y donnent lieu toujours au même déballage de certitudes sur le mode “yaka focon “. On en retrouve des répliques parfaites dans les courriers des lecteurs de la presse écrite, dans toutes les émissions où “ça se discute” dans lesquelles le moindre fait divers est dépouillé de toute portée sociale, psychologisé et emporté dans un flot d’émotions sollicitées soigneusement entretenues. Chaque auditeur, chaque lecteur, chaque téléspectateur y trouve peu ou prou une variante individuelle de sa propre appropriation du stock. L’effet de légitimation est parfait ; il bétonne toutes les certitudes. Les médias lui renvoient une image qui lui convient : c’est la sienne … Elle le fascine … Il existe dans le reflet de sa propre existence et le voilà expert, dissertant sur tout … En fait on arrive au substrat même du sens commun, à son noyau dur trempé dans le puits de la Vérité absolue, celle qui ne sera jamais soumise à examen. On aboutit au cimetière de la pensée critique ».

Jean-Pierre Guéno