La mémoire et le lien du travail
Résumé de l'émission
La mémoire et le lien du travail.
Païennes, profanes ou religieuses, longtemps les fêtes ont célébré les saisons . Elles servaient de point de repère, nourrissaient les calendriers et balisaient les relations économiques et sociales. Quand elles ne célébraient pas le travail de la terre , elles consacraient celui des corporations des artisans, des commerçants et des ouvriers. Elles étaient souvent associées aux saints patrons des lieux de cultes locaux ou des professions. Elles se traduisaient par des processions, par des défilés, par des bals, par des ripailles et par des spectacles de rues. Elles brassaient souvent nobles et roturiers, riches et gueux, bourgeois et manants, nantis et démunis. Elles déchaînaient la liesse populaire. Elles servaient d’entractes à une vie le plus souvent violente dure et précaire, ponctuée par les guerres, par les épidémies, par les famines.
Longtemps les mois de mai ont abondé en fêtes, en cérémonies laïques ou religieuses, en joyeuses coutumes. Déjà au début du XVème siècle, les frères Limbourg, peintres français, avaient représenté la fête de l’amour du 1er mai dans le manuscrit enluminé Les très riches heures du Duc de Berry. On y observe la noblesse, en cortège, revenant de la forêt ornée de couronnes et de colliers de feuillages.
Au concile de Milan de 1579, l’Église catholique proscrivit la tradition païenne de l’arbre de mai et ses rites de la fécondité liés au retour de la frondaison et du printemps. Elle consistait à planter un arbre ou un mât qui le représente dans le courant du mois de mai. Elle stipula ainsi son interdiction « le premier jour de mai, fête des apôtres saint Jacques et saint Philippe, de couper les arbres avec leurs branches, de les promener dans les rues et dans les carrefours, et de les planter ensuite avec des cérémonies folles et ridicules. »
On dit que la fête internationale du travail telle que nous la vivons le premier mai, tire son origine des combats du mouvement ouvrier pour obtenir la journée de huit heures, à la fin du xixe siècle. On sait que le Maréchal Philippe Pétain qui brillait tristement par le culte de sa personne avait « légalisé » et récupéré cette fête qui devint entre 1941 et la libération celle du « Travail et de la Concorde sociale » et non plus celle des travailleurs. Elle consacrait à la fois le travail du triptyque « travail famille patrie » et la saint Philippe. Elle remplaça définitivement l’églantine rouge par le muguet. En dehors de la grasse matinée d’un jour férié chômé et payé depuis 1946 et 1948, et redevenu officiellement « la fête du travail », le premier mai divise depuis longtemps les français. Des manifestations s’y croisent, les unes syndicales, les autres de l’extrême droite et des royalistes qui célèbrent à la fois le souvenir de Jeanne d’Arc et celui du Maréchal Pétain.
Pour que le travail retrouve la force et la beauté positive de son sens, il faut qu’il se libère de la souffrance, du servage et de son étymologie : En latin médiéval, trepalium était un instrument de torture composé de trois barres de bois sur lequel on crucifiait les suppliciés.
Puisse la fête du travail concilier à l’avenir l’églantine et le muguet, et redevenir une fois pour toutes dans une France trop divisée, la fête de l’amour, du rassemblement, de la paix et de l’union, et non celle des luttes, des rancunes et des clivages.
Jean-Pierre Guéno