Le lien pourri de la réécriture
Résumé de l'émission
Le lien pourri de la réécriture. Nous savions depuis longtemps qu’il était possible de réécrire l’histoire. Nous ne savions pas qu’il était possible de réécrire la littérature en dénaturant les œuvres, en les compactant, en les « simplifiant », en les expurgeant et en les censurant. D’aucuns rêvaient depuis longtemps de réécrire les romans et les contes moraux de la comtesse de Ségur oubliant qu’ils étaient révélateurs d’une époque où le châtiment corporel était de mise, où l’on vouvoyait ses parents, où l’on régnait sur ses domestiques, où les saignées, les cataplasmes et les remèdes accusaient certaines faiblesses d’une médecine encore trop souvent primitive et peu scientifique. Sophie Rostopchine cultivait les stéréotypes : ses Ecossais étaient avares, ses Arabes méchants, ses Polonais buveurs, ses Tsiganes voleurs, et ses Russes violents. Aujourd’hui le culture de l’effacement rêve de régler leurs comptes aux auteurs comparables par leur succès la Comtesse morte en religieuse qui avait vendu 29 millions d’exemplaires de ses premiers ouvrages en quelques années. Le « Brexit » de la stupidité a commencé Outre-manche.
De Enid Blyton à Roald Dahl, en passant par J. K. Rowling, les œuvres pour enfants ne cessent d’être expurgées de termes jugés offensants ou trop compliqués. Le livre de la Jungle passe à la trappe. Des spécialistes cherchent à « favoriser une édition jeunesse plus respectueuse des équilibres sociétaux et environnementaux ». Tout caractère péjoratif doit être édulcoré. Toute subtilité doit être « simplifiée ». Les « éléments de langage » envahissent des textes que l’on « autodafise » en les expurgeant ou en les simplifiant. Un tsunami intellectuel caricatural. A ce train-là, il sera bientôt question de régler son compte à la littérature pour adultes, de réécrire Rabelais, Shakespeare, Sade ou Céline. La chaîne du livre va se charger de boulets. Il faut replacer les stéréotypes dans leur temps et dans leur contexte.
Réécrire la littérature revient à réécrire l’histoire. Quand un professeur d’Université Tiphaine Samoyault déclare sur les antennes de France Culture qu’elle se réjouit de n’avoir pas à enseigner la littérature du 19ème siècle parce que les romans qu’elle rassemble ne correspondent plus aux valeurs d’aujourd’hui, on dépasse le mur du son de la bêtise qui engendre une censure déguisée doublée d’une « bien-pensance » de mauvais aloi. Comment peut-on comprendre, rappeler et analyser « l’invisibilisation » des femmes si l’on neutralise ces pièces à conviction que sont à cet égard Corinne, Indiana, La Femme de trente ans, Madame Bovary, Germinie Lacerteux, Nana, Une vie, Middlemarch, Anne Karénine et Portrait de femme ? N’oublions jamais qu’Hitler avait fait réécrire la version originale de Mein Kampf pour l’adoucir. Nous assistons à une résurgence d’une certaine forme d’obscurantisme qui confine à une forme de barbarie.
Jean-Pierre Guéno