Émission Le souffle du Diable et le soupir de Dieu
juillet
Résumé de l'émission
Longtemps les petits humains ont été endormis par des marchands de sable qui relevaient de l’imaginaire de l’enfance et qui œuvraient dans nombre de contes et de légendes liés au sommeil. Ils débarquaient dans les chambres des enfants à la nuit tombée pour les endormir d’une poignée de sable dans les yeux. Le marchand de sable des contes d’Andersen était sympathique. Il endormait les petits danois d’un souffle dans le cou avant d’enluminer leur sommeil de jolies histoires. Mais le marchand de sable des contes d’Hoffmann était un alchimiste démoniaque qui finissaient par inciter les humains à tomber sous l’emprise des automates jusqu’au point de devenir eux-mêmes des marionnettes sans fil. Ils sont si nombreux les marchands de sables qui cherchent aujourd’hui à endormir les adultes en leur distillant l’opium de l’adrénaline, de la haine, de l’égoïsme, de l’indifférence ou du rejet : beaux parleurs qui se disent prêcheurs ou informateurs et qui se prétendent experts en se bombardant rois au royaume des aveugles que nous devenons, où ils règnent en faux politiques et en faux journalistes borgnes, arborant le pavillon à tête de mort des pirates de basses mers, des corsaires au petit cours, dans les sociétés démontées.
Ils ne cessent de faire monter la pression. Leur sable nous embrouille et nous assomme. Ils sont eux-mêmes des automates policés, des machines sans cœur et sans âme et cherchent à nous inculquer le virus qu’ils incarnent : celui de ces mensonges qui risquent de nous transformer tous à notre tour en automates, en marionnettes avec ou sans fils, ne pensant plus et marchant servilement au pas sans plus jamais réfléchir. Dans les années 1930 le monde avait déjà été envahi par des marchands de sable, par des automates qui ne brillaient que par leurs gesticulations saccadées, par leurs vociférations, par leurs incantations et par leurs anathèmes. Ils étaient arrivés à embrigader des bataillons d’automates qui avaient fini par accepter de marcher au pas de l’oie et de lever le bras. Aujourd’hui les marchands de sable se répartissent les rôles : certains jouent les gentils, d’autre jouent les méchants. Ils peuvent être les automates simulateurs de la parfaite civilité ou au contraire les automates de la provocation soigneusement préméditée. Devant eux des bataillons d’automates en partie résignés, qui se méfient les uns des autres, qui songent à leurs fins de mois difficiles, qui rouspètent tous les jours, qui se révoltent tous les dix ans, qui boudent les élections, et qui vivent la plus souvent la tête baissée.
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août
Résumé de l'émission
Le lien du temps qui passe et du temps qu’il fait
Le temps a toujours été le carburant de l’ennui, le sujet de plainte et de conversation de ceux qui n’ont rien à dire : le temps qui fuit, le temps qui passe et le temps qu’il fait. Plus que jamais l’ère du temps est dans l’air du temps. Les horloges, les montres et les sabliers côtoient les thermomètres, les anémomètres, les hygromètres et les pluviomètres. Les chronomètres riment avec les baromètres. Nous marions les mesures du grand décompte, du grand compte à rebours avec celles de la météo. Nous déchiffrons l’avenir dans nos horoscopes, dans les lignes de nos mains, dans les prévisions climatiques. Nos statistiques servent trop à mesurer ce qui décroit, ce qui se dégrade et ce qui disparait, histoire de pimenter la routine et de nourrir les marchands d’apocalypse.
C’est parce que nous vieillissons. Que nous sommes contaminés par le virus du « tout fout le camp ». Que nous ne constatons que la rouille des saisons qui passent et qui unissent elles aussi dans leur interminable ronde le temps qui passe et le temps qu’il fait. Nous disposons alors souvent sur nos étagères les bibelots du temps qui emprisonnent nos regards et qui prennent la poussière. Certains s’enferment dans des boules de verre qui symbolisent l’avenir. D’autres dans des boules de neige que nous renversons pour simuler l’hiver au cœur de l’été. Mais sur nos étagères, nous exposons aussi des boites à meuh, ces jouets insupportables qui ânonnent nos radotages quand nous les retournons : nos réflexions sur la vie, sur la mort, sur le caractère éphémère de l’existence, sur la fragilité des choses, sur le temps qui passe et sur le temps qu’il fait. De ces gadgets qui nous font sourire quand nous arrêtons enfin de pleurer et de nous lamenter.
Au-delà de l’écologie que nous déployons à juste titre pour préserver et transmettre ce qui nous entoure, il nous faut savoir développer une écologie de nous-mêmes pour préserver et transmettre notre énergie positive, nos enthousiasmes, notre curiosité et nos appétits de vivre afin que les générations futures gardent « l’envie d’avoir envie », comme le dit la chanson.
Jean-Pierre Guéno
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Résumé de l'émission
L’instant tient du surgissement. Il exclue la prévision ou le bilan. L’instant, c’est un espace de temps infinitésimal. Il n’est même pas mesurable. Il est donc le point de convergence de l’espace et du temps, le moment précis où tout est susceptible de basculer, de nous faire perdre ou de nous faire gagner, de nous faire vivre ou de nous faire mourir. On le cueille, on en profite, on le vit ; on peut aussi l’espérer ou le redouter, l’aimer ou le haïr Mais alors c’est qu’il n’est déjà plus, qui a commencé à s’étirer et donc à se dénaturer car l’instant ne contient ni passé, ni futur. Dans son instantanéité, il ne permet aucune anticipation, aucune prise de recul.
Il est forcément critique. Il est simultanément un point d’équilibre et un point de déséquilibre. Il contient à la fois le vide de l’éphémère et l’épaisseur de l’éternité. Il est à la fois matière et antimatière. Il est forcément déclencheur de l’instinct. Quand l’instant survient, il ne donne déjà plus le temps de penser. Il neutralise le délai. Il impose l’action immédiate. Il est des collectionneurs, des orpailleurs d’instants qui font penser aux chasseurs de papillons, car les instants, lorsqu’ils sont légers, sont insaisissables, fugaces, furtifs par définition, évanescents. Mais il leur arrive d’être lourds, de mordre et de piquer, de poignarder, de marquer au fer rouge. Alors on voudrait pouvoir les oublier, les zapper, les effacer. Mais ils peuvent être aussi indélébiles qu’ils sont fuyants.
Ils peuvent être victimes de nos oublis comme ils peuvent être la cause de nos obsessions. D’une certaine façon les instants ne coagulent jamais. Qu’ils relèvent du délice ou de la plaie, ils ne peuvent pas cicatriser. Ils portent en eux l’apogée du plaisir comme celle de la douleur. Lourds ou légers, ils sont toujours porteurs d’intensité. Tumeur cancer abcès : trois mots qui peuvent être synonymes, mais qui n’ont pas d’antonymes. Lorsqu’il n’est pas magique, l’instant est potentiellement cancérigène. Mais quand il n’infecte pas, il purifie. Il est alors l’instant du surgissement de la grâce. Le lieu précis de la convergence de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.
Jean-Pierre Guéno
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Le lien de la croix
Le visage de l’église est comme étaient ces premières plaques de verre sensibles recouvertes de sel d’argent, utilisées par les photographes d’antan. Il enregistre chaque nuance d’ombre et de lumière. Il y a trop d’épines de la couronne du christ, trop d’échardes de sa croix qui ont griffé le visage de l’église. Trop de souffrances, trop de calvaires, trop de haines, trop de sang. L’église est en souffrance au point que l’internaute Frédéric Auclair a récemment évoqué sur Facebook « l’église défigurée du Christ ». Etait-elle ainsi la face du Christ imprimée par sa sueur et par son sang sur le Saint Suaire ? Défigurée par la souffrance ou au contraire apaisée par la grâce ultime ? Si le visage de l’église est ravagé, c’est parce qu’il porte les stigmates de la maladie qui nous touche et qui touche le monde : une sorte de désenchantement.
Une très belle chanson écrite pour Hélène Ségara et qui exprime la complainte amoureuse de celui que sa belle ignore nous dit : «Y’a trop d’gens qui t’aiment Et tu ne me vois pas ». Il faudrait adapter ce refrain et dire cette fois à propos du Christ : «Y’a trop d’gens qui t’aiment Et qui ne te voient pas », car il suffirait au peuple de l’église, aux prêtres comme aux fidèles, d’accepter la réalité du Christ pour que le visage de l’église soit transfiguré. Le vrai visage du Christ, « avec sa gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec et ses cheveux aux quatre vents » aurait dit George Moustaki ; le visage du migrant rejeté, celui du SDF ignoré, celui du pauvre qui a faim, celui du juif ou de l’arabe discriminés, le visage du solitaire, du vieillard ou du malade abandonnés. Le Christ nous l’avons crucifié pour sa différence. Cloué sur sa croix, il continuait à nous ouvrir les bras. Nos clous ont transpercé ses poignets sous ses paumes ouvertes en signe de salut pacifique, et qui traduisaient son absence de peur, mais aussi la protection qu’il était prêt à nous accorder. Le christ venait d’ailleurs. Chaque être humain lorsqu’il profère l’anathème « On est chez nous » plante un nouveau clou à l’endroit précis où l’aiguille de l’infirmière vient chercher la veine pour un don de sang.
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